Accoutrés de la sorte, dans n’importe quelle église du monde, ils se feraient jeter dehors. Mais ces cyclistes en nage qui se pressent devant la petite chapelle, cuissard et body moulant leur corps pas toujours affûté, sont ici chez eux. C’est écrit au-dessus de la porte d’entrée : Madonna del Ghisallo, patrona dei ciclisti. Notre-Dame de Ghisallo, patronne des cyclistes.
Le lieu, paisible pendant la semaine, est pris d’assaut le week-end par des centaines de cyclotouristes. On y assiste au drôle de spectacle de types au visage rougeaud qui, après avoir garé leur engin et ôté leur casque, franchissent le seuil en faisant un signe de croix avant de déambuler sur le carrelage de la chapelle d’un pas mal assuré, accompagnés du cliquetis caractéristique des chaussures de vélo, vraiment pas faites pour marcher.
Dimanche 5 octobre, ce sont les professionnels du peloton qui défileront sous le regard bienveillant de leur sainte patronne, perchée à 754 mètres d’altitude dans le village de Magreglio, au-dessus du majestueux lac de Côme et face à l’imposant massif de la Grigna, à 50 kilomètres au nord de Milan.
Mais Vincenzo Nibali et compagnie n’auront pas le temps de s’arrêter pour profiter du panorama à couper le souffle – si tant est qu’on en ait encore, après vingt minutes d’une ascension exténuante, ponctuée de passages à 14 % et de virages en épingle déjà difficiles à avaler en voiture. Il leur restera 198 kilomètres à parcourir sur les 256 que compte la 108e édition du Tour de Lombardie, dernier sommet de la saison cycliste, surnommé « la classique des feuilles mortes », ou encore l’ultima, la più bella (« la dernière, la plus belle ») par les Italiens, à qui on ne peut pas donner complètement tort sur ce coup-là.
BUSTES DE FAUSTO COPPI, GINO BARTALI ET ALFREDO BINDA
Tout au plus les coureurs pourront-ils jeter un œil, sur leur gauche, à Fausto Coppi, Gino Bartali et Alfredo Binda, dont les bustes en bronze, devant la chapelle, surveillent la route que ces trois légendes disparues du cyclisme italien empruntaient il y a un demi-siècle. Et si l’effort ne les a pas complètement abrutis, ils entendront les cloches sonner sur leur passage devant ce symbole du Giro di Lombardia, l’un des cinq « monuments du cyclisme » – ces grandes classiques qui rythment la saison depuis plus d’un siècle.
La Madonna del Ghisallo est au Tour de Lombardie ce que le Poggio est au Milan – San Remo, le Mur de Grammont au Tour des Flandres, la Trouée d’Arenberg à Paris-Roubaix et la Côte de La Redoute au Liège-Bastogne-Liège. « Il n’y a pas un passionné de sport qui n’aime le cyclisme, et pas un passionné de cyclisme qui ne connaisse la Madonna del Ghisallo », affirmait un ancien président de la Fédération italienne de cyclisme. Du fait de sa position géographique, la chapelle voit passer plusieurs courses au fil de l’année – y compris certaines éditions du Tour d’Italie. Mais cet endroit est plus qu’un lieu de passage célèbre pour amoureux de la petite reine. C’est un véritable sanctuaire du cyclisme.
VÉLOS SUSPENDUS
A l’intérieur de la petite église, construite en 1623, seul le plafond est encore vierge. Pour le reste, plus un centimètre carré de disponible. Ce sont d’abord les vélos suspendus en hauteur, le long des parois, qui attirent l’œil. A droite, celui avec lequel Gino Bartali courut le Tour de France en 1949 ; celui d’Alfonsina Strada, première femme à disputer le Tour d’Italie aux côtés des messieurs, en 1924 ; celui à roues pleines que Francesco Moser utilisa lors de son record de l’heure réussi (mais non homologué par l’Union cycliste internationale) à Mexico, en 1984 ; celui de Felice Gimondi lors du Giro 1976, et celui de Maurizio Fondriest au championnat du monde 1988.
En face se trouvent le vélo sur lequel Fausto Coppi remporta le Tour de France 1949 ; ceux d’Eddy Merckx, de Fabio Casartelli (mais pas celui sur lequel il se tua lors du Tour de France 1995), de Gianni Motta lors du Giro 1966, et un engin comme ceux qu’utilisaient les bersaglieri de l’armée italienne lors de la première guerre mondiale. Faute d’espace en l’air, deux autres vélos ont pris place au sol, près de l’aute l : celui d’Ivan Gotti au Giro 1999, et un autre vélo de Fausto Coppi, utilisé lors de Paris-Roubaix en 1947.
DES MAILLOTS SUR LES MURS
Des dizaines de maillots prestigieux recouvrent aussi les murs, maillots jaunes du Tour (Coppi, Bartali, mais aussi Indurain ou Hinault), maillots roses du Giro (Berzin, Simoni, Garzelli), maillots arc-en-ciel de champions du monde (Basso, Popovych, Hushovd), maillots de champions olympiques ou de champions d’Italie.
On voit encore de très nombreux fanions de clubs cyclistes du pays, des centaines de petits portraits ovales de cyclistes défunts, et une lettre datant du 24 mai 1948, signée par Coppi, Bartali et beaucoup d’autres, adressée au pape Pie XII : « Très Saint Père, les coureurs participant au 31e Tour d’Italie (…) prient Votre Sainteté de bien vouloir désigner comme leur protectrice la Sainte Vierge du Ghisallo, et demandent la bénédiction apostolique. »
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Cinq mois après leur requête, ces cyclistes escortaient à vélo, de Rome à Magreglio, le flambeau perpétuel allumé et béni par Pie XII, qui trône toujours au milieu de la chapelle – une ampoule fait désormais office de flamme. Un an plus tard, le 13 octobre 1949, une bulle papale faisait de la Madonnina la protectrice des cyclistes. Depuis, « il n’y a pas un grand coureur italien qui ne soit pas allé en pèlerinage au Ghisallo, explique Pier Bergonzi, rédacteur en chef à La Gazzetta dello Sport. C’est une tradition : si tu gagnes quelque chose, tu y vas pour remercier Dieu. »
IMBRICATION ENTRE RELIGION ET CYCLISME
L’édifice, où des coureurs comme Ercole Baldini et Fiorenzo Magni célébrèrent leur mariage, résume à lui seul le lien fort, et difficile à concevoir de notre côté des Alpes, entre religion et cyclisme en Italie.
Gino Bartali, surnommé « Gino le Pieux », en était l’incarnation absolue. Le Toscan allait à la messe dès qu’il le pouvait, y compris pendant les courses, et refusait d’embrasser les miss sur les podiums car il était fiancé. Trois mots prononcés par Pie XII à son sujet sont gravés sur une plaque dorée, vissée au socle de sa statue devant la Madonna del Ghisallo : « Atleta perfetto cristiano » (« sportif parfait chrétien »).
Felice Gimondi, lorsqu’il remporta le Tour de France 1965, portait autour de la cheville une cordelette trempée dans l’eau bénite de l’église de son village. Même Mario Cipollini, sprinteur bellâtre et flambeur qui avait des centaines de femmes à ses pieds, a été rattrapé par la foi : il voue un culte à Padre Pio, et est venu lui-même offrir son maillot de champion du monde 2002 à la Madonna del Ghisallo.
Bernard Hinault se souvient de ses confrères italiens « qui faisaient des signes de croix avant, pendant et après la course ». Richard Virenque, lui, n’a pas oublié son directeur sportif au sein de l’équipe Polti, Gianluigi Stanga, « quelqu’un de très croyant, très catholique », qui lui faisait écouter des messes de Mozart avant le départ des courses pour le calmer à l’époque où le Français était dans l’œil du cyclone à la suite de l’affaire Festina.
BÉNÉDICTION DU PAPE
« Les relations entre le cyclisme italien et le monde catholique sont très fortes, peut-être plus que dans d’autres sports, parce que tous les plus grands cyclistes italiens viennent de petits villages où le monde catholique a des racines très profondes », raconte Pier Bergonzi. L’Italie n’a pas le monopole des « sanctuaires du cyclisme ». On en trouve en Espagne, en Colombie, en Suisse, en Pologne ou en France – la chapelle Notre-Dame-des-Cyclistes, à Labastide-d’Armagnac, dans les Landes. Mais, en Italie, les doigts des deux mains ne suffisent pas à tous les compter. D’ailleurs, lorsqu’il franchira le Colle Gallo, au kilomètre 165, le peloton du Tour de Lombardie laissera sur sa gauche une autre Madonna dei ciclisti.
« Peut-être aussi que ces liens sont plus forts ici qu’ailleurs tout simplement parce que le pape est là depuis deux mille ans », suggère Pier Bergonzi. Parlez-en à Domenico Macri, président du Gruppo Sportivo Ghisallo, et il vous montrera fièrement la licence n° A014530 de son club. Elle est au nom d’un certain Jorge Mario Bergoglio, domicilié dans le « Stato della Città del Vaticano ». Oui, le pape François est le président d’honneur du club, comme l’était Benoît XVI avant lui. Ce dernier avait d’ailleurs apposé sa bénédiction sur la dernière pierre du Musée du cyclisme, ouvert en 2006 à quelques mètres de la Madonna del Ghisallo.
En 2000, année du jubilé, le départ du Giro avait été donné depuis le Vatican, où chaque coureur était passé devant Jean Paul II. Et, jusqu’à récemment, le Tour d’Italie ne s’élançait pas sans qu’un prêtre ait béni le maillot rose. « Vincenzo Torriani, l’ancien patron du Giro [mort en 1996], était très catholique, rappelle Pier Bergonzi. Sur certaines éditions, il faisait venir un prêtre au départ de chaque étape. Mais tout ça est en train de disparaître. »
« UN LIEU SACRÉ POUR TOUS LES CYCLISTES »
Dimanche 28 septembre, l’arrivée d’une course de juniors était jugée devant la Madonna del Ghisallo, sur la rue qui s’appelle aujourd’hui via Gino Bartali. Le vainqueur, Samuele, 14 ans, n’avait pas l’air particulièrement transcendé par le souffle spirituel du lieu. « Je suis jeune, cet endroit n’est pas vraiment symbolique pour moi », a-t-il reconnu, un peu gêné. On aurait presque entendu Gino le Pieux se retourner dans sa tombe.
Si le Ghisallo reste un lieu de pèlerinage pour les cyclistes qui « viennent faire bénir leur chapelet, et le mettent dans une poche de leur maillot quand ils vont rouler », comme l’explique Domenico Macri, le mysticisme qui l’entoure va au-delà de la religion. Francesco Villa, cigarette au bec et pas dévot pour un sou, explique que « c’est un lieu sacré pour tous les cyclistes, pas seulement pour ceux qui sont croyants ». A quelques mètres, Dieter Wiedemann, ancien coureur cycliste qui avait déserté l’Allemagne de l’Est et couru le Tour de France 1967 (52e), se dit surtout « très ému de voir autant de grands noms du cyclisme réunis ».
« ET DIEU CRÉA LA BICYCLETTE »
La majorité des visiteurs sont des touristes, et ils sont nombreux : 200 000 par an selon la responsable du musée, 700 000 d’après Mario Begni, l’octogénaire qui vend toutes sortes de babioles à l’effigie de la Madonna – de la boule à neige au dé à coudre (2 euros), en passant par le must : la bague en fer qui évitera à son propriétaire mauvaises chutes et défaillances en montagne.
Après l’avoir fixée au cadre de son vélo, le cycliste du dimanche ira jeter un dernier coup d’œil au panorama en passant devant le buste souriant de Don Ermelindo Vigano, le recteur de la chapelle mort en 1985, qui appuya la demande des coureurs à Pie XII en 1948. Puis il passera devant le monument aux coureurs, une grande statue de bronze (bénie par le pape Paul VI en 1973) représentant, côte à côte, un cycliste triomphant, bras levés, et un cycliste à terre. En dessous, cette inscription : « Et Dieu créa la bicyclette pour que l’homme en fasse un instrument d’effort et d’exaltation sur le chemin difficile de la vie. »
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