« Un temps oublié, Le Colombier retrouve aujourd’hui une place prépondérante au cœur de la ville. Avec le centre commercial 3 Soleils, vous êtes entraînés sur trois niveaux dans un tourbillon de couleurs, de mouvements, de nouveautés. » L’attaque de la future plaquette de présentation d’un quartier Colombier réhabilité, en l’an 2178 ? Pas vraiment. Ce texte est paru au début des années 80 dans une feuille de chou appelée Colombier Informations, déterrée par Le Mensuel de Rennes. Au crépuscule des 30 glorieuses, le quartier vient de sortir de terre, sous le haut-patronage de l’architecte Louis Arretche.

On y vante alors les prix de l’immobilier tout doux – 426 400 francs (environ 65 000 €) l’appartement de 92 m², 4 pièces à la tour de l’Éperon – une nouvelle zone de loisirs, un cinéma de 6 salles, et surtout l’accès, « en 10 minutes » en voiture, à la rocade. Un autre temps où la nature en ville se limitait aux jardins publics, où le métro n’était encore qu’un vague fantasme et où circuler à vélo s’apparentait à une mission suicide. 40 ans plus tard, le Colombier meurt de ses atouts qui faisaient jadis sa puissance : une ville dans la ville avec tous les commerces, services, loisirs et places de parking concentrés en un seul endroit.

Îlot de Chaleur

À l’heure du changement climatique, de l’essor de nouveaux modes de consommation et de nouvelles mobilités, le modèle de la dalle est devenu désuet. L’océan de béton se mue en véritable étuve au cœur de l’été. La Ville a bien posé un plancher en bois et quelques fontaines à l’aube des années 2000. Mais l’opération ressemble plus à un pansement sur une jambe de bois qu’à une résolution du problème de fond. Idem concernant la végétalisation, avec quelques malheureux arbustes introduits dans de gros pots en terre. Impossible de planter de gros platanes ombrageux alors que, quelques centimètres plus bas, s’étend le plus grand parking souterrain de la capitale bretonne (1 200 places).

Pourtant, les vues satellites du quartier indiquent qu’il n’est pas si minéral que ça. Derrière la dalle principale, de nombreux squares – Roi Arthur, Général Koering, terrasse Albert-Einstein…- constellent le labyrinthe de béton. On a même trouvé des potagers surplombant l’esplanade commerciale. Problème : à part suivre les balises du GR39 qui passe par un improbable itinéraire au cœur des tours de Colombier, impossible de se repérer dans ce dédale dont on ne sait pas trop si les entrées sont publiques ou privées. Et où les passages d’une dalle à l’autre nécessitent de traverser le centre commercial Colombia, d’emprunter des escaliers, des ascenseurs ou des passages souterrains.

Déconnecté du reste de la cité

Surélevé, avec ses passages, ses îlots, ses tours et ses nombreuses allées, le quartier a tout d’une forteresse repliée sur elle-même dont l’Éperon et ses 92 m fait figure de donjon. Un aspect ville close que déplorait déjà, en 2010, Didier Le Bougeant, adjoint en charge du centre-ville. « Le quartier s’est refermé sur lui-même. Beaucoup d’endroits donnent un effet de forteresse et des places, comme celle des Colombes, ressemblent plus à des arrière-cours qu’à des véritables lieux de vie. » Presque quinze ans plus tard, l’objectif reste le même : connecter la forteresse du Colombier à ses environs, particulièrement à EuroRennes, Zac dont elle fait -partiellement- partie. Que peut faire la Ville ? Pas grand-chose. Elle n’a que peu de marges de manœuvre alors que l’essentiel de la surface dépend d’opérateurs privés divers et variés.

Résultat, certains îlots tombent aujourd’hui en ruines, comme la partie initialement occupée par le Cinéville, à l’abandon depuis 2019. Dans les passages les moins fréquentés, les fils dégringolent des toits face à des devantures défoncées. Derrière certains îlots, les poubelles et les déchets s’entassent au milieu de campements de fortune.

Sentiment d’insécurité

La configuration du site est propice aux activités illégales et à la mendicité. La dalle commerciale est un point de deal notoirement connu à Rennes. Elle est aussi le lieu de rendez-vous de bon nombre de marginaux. De quoi faire planer un sentiment d’insécurité chez certains badauds, notamment à la nuit tombée. Réalité ou fantasme ? Difficile à dire. Si la délinquance augmente globalement sur le quartier Centre (+3,4 % entre 2019 et 2022), aucune donnée n’est disponible pour le seul secteur du Colombier.

Reste que, ces dernières années, certains faits divers y ont fait les choux gras des journaux. Que fait la police ? Pas assez, selon certains. La nuit tombée, ce sont les cerbères du 1988 Live club qui jouent les justiciers. Fin décembre, la préfecture a même étudié la possibilité d’une fermeture administrative de la boîte après le rôle trouble qu’auraient joué les videurs lors d’un affrontement entre groupes de jeunes. Depuis plusieurs mois, le physio en chef, Yovan Delourme, alias le Jarl, parade sur Cnews et sur les plateaux de Cyril Hanouna. L’influenceur d’extrême droite -il a été remplaçant du candidat Reconquête dans la première circonscription d’Ille-et-Vilaine aux dernières législatives- peaufine sa stratégie de com’en affichant les agresseurs sur Tik Tok et Facebook. Un brin mégalo, il se targue même d’avoir fait déguerpir les mineurs non accompagnés (MNA) de la dalle, avec son armada de videurs. Comme une armée de preux chevaliers qui protégeraient la forteresse du Colombier.