La ligne d’arrivée se situe sur le rond-point central de Kigali, au pied du Convention Centre, dont le dôme perché sur l’une des mille collines du pays est devenu un symbole de la modernité revendiquée de la capitale rwandaise. La foule se masse aux abords de l’édifice pour assister à la dernière étape du Tour du Rwanda, une épreuve devenue au fil des ans le rendez-vous incontournable du cyclisme africain.
Organisée en février, cette course de huit jours a récemment pris une dimension mondiale. En 2019, dix ans après l’obtention de sa licence de l’Union cycliste internationale (UCI), elle est devenue, avec la Tropicale Amissa Bongo, au Gabon, l’une des deux compétitions cyclistes les plus prestigieuses d’Afrique.
Surtout, elle fait se déplacer sur le continent des équipes professionnelles qui n’y s’aventuraient que rarement jusque-là. Parmi elles, la formation française Total Energies ou encore l’équipe Israël-PremierTech, qui aligne au Rwanda le quadruple vainqueur du Tour de France, Christopher Froome. Le coureur britannique y vient presque en voisin : il est né non loin de là, au Kenya.
« Une immense opportunité »
Sa présence n’est pas anodine. Outre la promotion d’un centre de formation lancé par son équipe au Rwanda, il vient aussi porter un message : « Je crois au développement du potentiel cycliste en Afrique de l’Est, explique-t-il au Monde. L’organisation des Championnats du monde ici, en 2025, est une immense opportunité pour le continent. Ça va enfin donner un coup de projecteur au vélo en Afrique. »
Dans la capitale rwandaise, tout le monde semble être tourné vers cet objectif. Cette année, le Tour du Rwanda a donc des airs de répétition générale. « Ce que vous voyez là, c’est exactement la façon dont seront organisés les mondiaux », assure la ministre des sports, Aurore Mimosa Munyangaju, à la remise des trophées devant le podium. A un détail près. Ce ne sont pas cent, mais bien 5 000 coureurs et 20 000 spectateurs que devra accueillir la petite nation des Grands Lacs. Pour cela, des ajustements seront nécessaires : le grand rond-point devant Convention Centre sera détruit pour élargir la route empruntée par les coureurs.
« Recevoir les Championnats du monde est une récompense énorme pour un petit pays comme le Rwanda, affirme Samson Ndayishimiye, ancien nageur olympique qui préside désormais la fédération nationale. La marque “Visit Rwanda” nous amène déjà des visiteurs du monde entier, alors pourquoi ne pas en attirer d’autres via le cyclisme. »
Le choix du Rwanda, annoncé par l’UCI en 2021, est l’aboutissement de longues années d’investissement de Kigali dans son Tour, qui voit à travers le cyclisme un outil de sa diplomatie sportive, à l’instar du partenariat qu’il a noué avec la NBA Africa League pour le basket-ball et des contrats de sponsoring du club londonien Arsenal et du Paris-Saint-Germain pour le football.
Essor dans les années 2000
Grâce à cette campagne de communication pilotée par l’Etat, le Rwanda se positionne comme une destination touristique et sportive de luxe. Kigali y est dépeinte comme la ville la plus verte, la plus propre et la plus sécurisée d’Afrique. Une façon aussi de faire oublier l’absence de libertés publiques dans ce qui est l’un des régimes les plus autoritaires du continent, également accusé de soutenir les rebelles du Mouvement du 23 mars (M23) en République démocratique du Congo (RDC).
Le vrai tournant s’effectue en 2006, lorsque l’ancien coureur cycliste américain Jonathan Boyer installe un centre d’entraînement à Musanze, dans l’ouest du pays, et décide d’y développer les talents locaux. Le vélo connaît alors un essor phénoménal, symbolisé par la trajectoire d’Adrien Niyonshuti, un survivant du génocide devenu le premier cycliste rwandais à courir en Europe. Il représentera son pays aux Jeux olympiques de Londres, en 2012. Son épopée a été immortalisée dans le documentaire de T. C. Johnstone, Rising from Ashes.
Alors que le Rwanda s’apprête à recevoir le gratin du cyclisme mondial sur ses terres, qu’en est-il du développement du vélo dans le pays ? Malgré une décennie d’efforts menés par Jonathan Boyer – qui claquera la porte de la fédération en 2017, après des affaires de corruption à répétition –, il n’y a plus aujourd’hui de coureurs rwandais dans le circuit professionnel. Lors du tour du pays, le premier Rwandais se classe quinzième. Loin derrière les coureurs venus d’Erythrée, vainqueurs du classement par équipe en 2024. La petite nation de la Corne de l’Afrique est aujourd’hui l’un des seuls réservoirs de cyclistes professionnels africains.
« Le cyclisme oubliera le Rwanda »
« Nous ne sommes pas au niveau des Erythréens. Eux courent en Europe », murmure le sprinter rwandais Didier Munyaneza, prix du coureur le plus combatif de l’édition 2024 du Tour du Rwanda. Pour d’autres cyclistes locaux, tel l’ancien champion Hategeka Gasore, la responsabilité incombe aux instances nationales : « Ils font tout pour accueillir les Championnats du monde, ce sera une fête évidemment, mais derrière, rien n’est fait pour les coureurs au quotidien. Ils ne paient parfois plus les salaires et ne soutiennent plus les jeunes talents. »
Le pays bénéficie pourtant d’un programme du Centre mondial du cyclisme de l’UCI visant à préparer les coureurs du continent aux mondiaux. Ce projet, baptisé « Stratégie Afrique 2025 », se terminera à l’issue de la compétition. « Après les championnats du monde, le cyclisme oubliera le Rwanda et vice versa », prédit, pessimiste, Kimberly Coats, qui participa à populariser le sport dans le pays aux côtés de Jonathan Boyer. Pour relancer la machine, la Fédération cycliste rwandaise a recruté en septembre 2023 un entraîneur français, David Louvet, chargé d’insuffler une nouvelle dynamique au « pays des milles collines ».
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