Circulation à contresens, refus de priorité, non-respect des stops… Dans l’imaginaire collectif, ces entorses au Code de la route étaient autrefois le domaine réservé des automobilistes. Une pandémie de Covid et voilà que cette perception est nuancée. Le vélo, dont la pratique a explosé en ville, partage désormais avec la voiture le bonnet d’âne des mauvais comportements sur la route. Les citadins ont pu observer que la vulnérabilité des cyclistes ne garantissait ni une conduite respectueuse ni ne prévenait contre les attitudes individualistes.

Finalement, les cyclistes sont-ils des automobilistes comme les autres ? Aujourd’hui encore, alors que la pratique de la bicyclette en ville est entrée dans les mœurs, le débat reste vif. « De nombreux cyclistes se comportent tout aussi connement que des automobilistes », tacle Frédéric Denhez, qui les renvoie dos à dos. Cet essayiste et chroniqueur s’agace du caractère grégaire des usagers à vélo, qui les pousserait à s’affranchir du Code de la route. « Je me sens tenu de me tenir à rien, dès lors que d’autres font exactement comme moi », résume-t-il.

À Paris, une artère est devenue l’emblème de ces outrances : le boulevard de Sébastopol. Cette voie sous-dimensionnée et sursollicitée est le théâtre de coups de sonnette en fanfare, de dépassements périlleux et d’insultes à gogo. Non loin de là, la rue de Rivoli n’offre guère un meilleur spectacle. Autrefois célèbre pour ses arcades, elle est désormais réputée comme la rue parisienne la plus difficile à traverser pour les piétons.

Paris n’est pas la seule ville concernée par ces comportements irresponsables, habituellement associé aux automobilistes. On les retrouve dans les principales grandes villes de France. À Bordeaux, les quais de Garonne sont traversés comme des flèches par des cyclistes peu soucieux des piétons. À Lyon, ce n’est pas mieux. Dans un édito, le magazine Lyon capitale qualifie les cyclistes de « nouveaux chauffards » !

Des incivilités chiffrées

Le qualificatif est fort et cette position passerait pour complètement caricaturale si certains chiffres ne venaient pas lui donner un peu crédit. À Paris, par exemple, 20 952 procès-verbaux ont été dressés en 2022 à des cyclistes pour infraction au Code de la route, contre seulement 9 449 en 2021, soit une hausse de 121 % en un an ! Certes, cette progression brutale est à nuancer. Elle est corrélée à l’explosion covidienne de la pratique du vélo dans la capitale et témoigne aussi d’une vigilance accrue des autorités publiques à cette période.

Une étude d’observation, réalisée en 2023 par OpinionWay pour l’assureur MMA, souligne l’attitude des cyclistes. Des agents ont observé pendant 60 heures dans six grandes villes (Paris, Lille, Nantes, Lyon, Montpellier et Toulouse) les comportements à risques des usagers de la route : passage au feu rouge, circulation dans une mauvaise voie, dépassement dangereux… Il en ressort que les cyclistes sont les premiers concernés par ces comportements à risque (45 % du total), loin devant les piétons, les trottinettes et les voitures.

Au total, cette étude fait état de 22 incidents durant la période observée. Rien de grave : des dégâts matériels mineurs, des freinages d’urgence et des chocs évités de justesse. Parmi ces incidents, 36 % étaient attribués aux vélos et 32 % impliquaient des voitures. En matière de « presque accidentologie », ici, il y a match…

La voiture, infiniment plus mortelle

En matière de mortalité, c’est une autre histoire. « Évidemment que certains cyclistes, comme les automobilistes, se conduisent comme des connards. Mais un vélo n’a jamais renversé une voiture ! » réplique Alain Sevran-Puiseux, éditeur de 200, le magazine des passionnés de vélo. Le bilan routier 2023 de l’ONISR le confirme. Les voitures sont impliquées dans 87 % des situations ayant conduit à la mort des 221 cyclistes recensées cette année-là. Les cyclistes, quant à eux, sont concernés dans 0 % des cas dans le décès d’un automobiliste, évalué à 1 512 en 2023.

L’économiste des transports et urbaniste Frédéric Héran observe ainsi un fossé énorme entre « le sentiment d’insécurité lié aux vélos en ville et l’insécurité réelle propre à la bicyclette ». Il rappelle, au passage, que les voitures tuent des piétons dans des proportions infiniment plus grandes que les vélos, du simple fait de l’énergie cinétique. « Une voiture qui roule à seulement 30 km/h a déjà une énergie cinétique 60 fois supérieure à celle d’un cycliste qui circule à 15 km/h », rappelle-t-il.

Ressentiment envers les cyclistes

Prétendre que les mauvais comportements des cyclistes sont équivalents à ceux des automobilistes illustre d’un ressentiment, parfois puissant, à l’encontre des adeptes du vélo. On se souvient du chanteur Michel Sardou, qui avait suscité la polémique en 2022 sur le plateau de Laurent Delahousse. « Avant, il n’y avait pas de vélos, que je ne supporte pas. Ils grillent tous les feux rouges… Le prochain, je me le fais », lançait-il sur France 2.

Le vélo militant est porté par des petits “tyrans” caricaturalement bobo CSP +.Frédéric Denhez

Ce ressentiment est parfois lié à l’attitude militante des cyclistes eux-mêmes. « En ville, et à Paris plus particulièrement, le vélo militant est porté par des petits “tyrans” caricaturalement bobo CSP +, estime Frédéric Denhez. Ils considèrent avoir raison contre le reste du monde, car eux sont écolos et sauveraient la planète, à la différence des beaufs qui brûlent du pétrole. »

Selon les spécialistes, ce ressentiment puise surtout sa source dans le nouveau partage de la route. « L’espace est particulièrement rare en ville. Les conflits sont liés au changement de paradigme en cours selon lequel, en ville, le vélo devient désormais prioritaire sur la voiture », observe Frédéric Héran. « Le vélo remet en cause plusieurs décennies de règne de la voiture. Cela génère de l’aigreur, de la violence… » complète Alain Sevran-Puiseux du magazine 200. Mardi, un cycliste a été sciemment renversé à Paris par un automobiliste après une altercation.

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